Beaucoup de personnes nous posent la question des moyens de contestation « juridiques » et des recours possibles contre le projet, voire d’idées nouvelles d’actions en justice. Voici donc un petit bilan de où en sont les péripéties juridiques de ce projet.
Les procédures en cours et le point sur les recours passés
Le Grand Projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO) se décompose en trois sous-projet : les lignes nouvelles, les aménagements ferroviaires au sud de Bordeaux (AFSB), et les améangements ferroviaires au Nord de Bordeaux (AFNT). Chaque opération est soumise à une Déclaration d’Utilité Publique qui donne le droit aux porteurs du projet d’exproprier les personnes sur le tracé, de contourner les réglementations de protection de la nature (comme par exemple la loi Zero Artificialisation Nette ou Natura 2000), etc.
Ces Déclarations d’Utilité Publique ont été attaquées auprès des juridictions compétentes pour chacune des trois opérations englobées dans le GPSO :
- Après la publication du décret ministériel déclarant d’utilité public les travaux de lignes nouvelles, en juin 2016, pas moins de 7 recours juridiques ont été déposés par différents acteurs du Sud-Ouest. L’un de ces recours a en particulier été porté par l’avocat Pierre Hurmic, aujourd’hui maire de Bordeaux ! Ces recours ont cependant tous ont été balayés in fine par un Conseil d’Etat particulièrement partial et à l’écoute du gouvernement, après des procès en appel. Plus d’information sur ces recours à consulter sur le site de la SEPANSO ;
- Concernant les aménagements ferroviaires, le tribunal administratif de Bordeaux avait quant à lui annulé en 2017 la DUP pour les aménagements ferroviaires au sud de Bordeaux, et le tribunal adminsitratif de Toulouse avait fait de même en 2018 au sujet des aménagements ferroviaires au nord de Toulouse. Cependant dans les deux cas les cours administratives d’appel ont ré-instauré la DUP (respectivement en 2019 et 2020).
À la relance du projet en 2021, de nouveaux recours ont été déposés par les collectifs, associations et élus. Ainsi à date trois procédures sont toujours en cours pour s’opposer à ce projet :
- Deux recours contre le plan de financement auprès du Tribunal Administratif de Toulouse
- Un recours de particuliers et d’associations, soit une centaine de ‘personnalités morales’ dont la SEPANSO, Trans’CUB, la Coordination Vigilance 33, … ;
- Un recours identique porté par 80 élus de collectivités avec pour avocat le député écologiste Julien Bayou.
Ces deux recours dénoncent entre autre les risques que font porter sur les collectivités ce plan du financement signé à la hâte en 2021 et 2022, notamment lié aux surcoûts inévitables de ce Grand Projet ferroviaire du Sud-Ouest (le budget étant toujours en cours d’actualisation, personne ne sait à date quel est son coût estimé). Un article fait le point à ce sujet ici, et les détails concernants les aberrations de ce plan de financement sont à retrouver sur notre page dédié aux taxes et financement du projet.
- Un recours contre la prolongation de la Déclaration d’Utilité Publique (DUP) des AFSB, porté par l’association LGVEA auprès du Tribunal Administratif de Bordeaux, soutenu en intervention volontaire par la communauté de communes Montesquieu et par d’autres associations (Trans’Cub, les Amis du Barthos, Sepanso).
Ce recours dénonce entre autre la hausse du coût des aménagements ferroviaires au sud de Bordeaux par rapport à ce qui était prévu dans la DUP initiale et qui remet en cause l’économie générale du projet, et aurait dû remettre en cause l’enquête publique de 2014-2016. En effet dans cette DUP, les AFSB étaient évalués à 613 millions d’euros, mais dans le plan de financement validé en février 2022 ceux-ci apparaissent à 900 millions d’euros, soit plus de 46% d’augmentation. Le conseil d’État doit alors statuer sur ce qui constitue ou non une ‘modification substantielle’ du projet de nature à remettre en question son enquête publique. La jurisprudence montre qu’à partir de 30% d’augmentation des coûts, c’est déjà significatif pour cette cours de justice…Déposée il y a plus d’un an cette requête est toujours en cours d’instruction : comme celui-ci n’est pas suspensif (i.e. il ne bloque aucune avancée du projet), l’administration a tout intérêt à traîner la patte… Cependant en février 2024 la procédure fait l’objet d’une réouverture de l’instruction suite aux mémoires déposés par LGVEA et SNCF Réseau, les deux parties opposées qui versent ainsi de nouveaux éléments au dossier que le Tribunal Administratif doit alors prendre en compte dans sa décision.
De plus, l’association Trans’CUB a révélé une nouvelle faille du projet en ce début d’année 2024 découverte « par chance » à l’occasion des échanges avec SNCF Réseau qui s’est en quelque sorte pris les pieds dans le tapis. En effet Trans’CUB a publié un communiqué dans lequel il explique que les prévisions de fréquentation de l’enquête publique qui avaient alors permis de justifier l’intérêt des aménagements ferroviaires au sud de Bordeaux peuvent être assurées par les voies existantes ! Nul besoin alors de dépenser la somme exorbitante de 1 milliard d’euro pour une nouvelle voie dans les quatre gares au sud de Bordeaux qui devaient permettre d’augmenter les capacités du réseau…
Les prochains actes
Les collectifs mobilisés contre le projet ont plus d’un tour dans leur sac. Récemment ceux-ci se sont rencontrés à Mont-de-Marsan (voir article du journal Sud-Ouest) pour étudier la faisabilité d’un recours contre… la Taxe Spéciale d’Équipement qui oblige les collectivités à collecter un impôt local destiné à financer les LGV du Sud-Ouest.
Ce recours est un peu particulier puisqu’il ne relève pas des juridictions classiques : il doit être soutenu devant le Conseil Constitutionnel et prend un autre nom : « Question Prioritaire de Constitutionnalité » (QPC). Il s’agit dans les fait de demander au Conseil Constitutionnel de statuer sur le fait que cette taxe locale est conforme à la Consitution, en particulier étant donné que le GPSO est un projet tout sauf local (ses impacts sont nationaux et européens). Si ces taxes locales sont déclarées inconstitutionnelles cela annulerait une grande partie du financement attribué à la société GPSO pour financer ce projet ! Plus d’information sur ce qu’est une QPC sur le site du conseil d’État. Un tel recours permet une décision sous 9 mois environ : la partie est loin d’être gagnée pour les promoteurs du projet !
Lire le Communiqué de TGV en Albret annonçant le dépôt d’une QPC
Par ailleurs un dernier recours est déposé en mars 2024 par les collectifs, celui concernant la Déclaration d’Utilité Publique des lignes nouvelles. En effet si à date parmi les trois opérations englobées dans le Grand Projet ferroviaire du Sud-Ouest seuls les AFSB font l’objet d’un recours concernant la DUP, le plan de financement signé en 2022 et 2023 apporte de nouveaux arguments par rapport à l’enquête publique de 2014-2016, qui peuvent permettre de les contester en justice également la DUP portant sur les lignes nouvelles. Cependant cette DUP a été promulguée par le Premier Ministre en personne, et elle ne peut donc pas être contestée devant un ‘simple’ Tribunal Administratif : il faut porter ce recours directement devant le Conseil d’État (l’instance qui est chargée en France de juger le gouvernement lui-même !).
Les collectifs, solidaires d’un bout à l’autre du Sud-Ouest, engagent des fonds importants pour financer ces recours (les frais d’avocats notamment). À ce propos, la cagnotte LGV NON MERCI destinée à soutenir le mouvement de lutte est ouverte !
Enfin, il n’a pas échappé aux collectifs que certains inventaires naturalistes ont permis de retarder d’autres grands projets ailleurs en France. Sur le GPSO même, la présence de la loutre d’Europe a permis de retarder d’un an les travaux d’aménagements ferroviaires au nord de Toulouse (voir cet article presse). Or la loutre n’est pas le seul animal impacté par le GPSO : pas moins de 497 espèces sont concernées par le tracé du projet d’après l’enquête publique de 2014-2016, dont 197 sont des espèces protégées ! Mais l’enquête publique date maintenant de dix ans, les inventaires naturalistes sont donc caducs et c’est d’ailleurs une critique émise par l’Autorité environnementale sommée de donner son avis sur le volet environnemental du projet avant de démarrer les travaux préparatoires. Ainsi, ils se poursuivent aujourd’hui à partir d’un dossier d’enquête publique environnemental bouclé à la hâte avec la complicité de bureaux d’étude qui font à peine l’effort d’actualiser les relevés. Or il a été récemment démontré que le castor est une espèce de retour sur les espaces concernés par l’emprise du projet, qui n’était pas présente il y a dix ans à l’époque de la première étude d’impacts environnementaux : l’Autorité Environnementale peut en faire l’observation et suggérer des mesures appropriées sans pour autant avoir aucun pouvoir de stopper le projet, son avis n’étant que consultatif, mais cela pourrait changer la donne si ce cas était porté en justice, une cours ayant par contre le pouvoir de remettre en question la Déclaration d’Utilité Publique d’un projet donc les impacts n’ont pas été correctement pris en compte !